Le but de ce projet est de rassembler une équipe scientifique internationale avec des représentants de différentes disciplines de sciences sociales et humaines, pour étudier les Oudmourtes orientaux, communauté presque entièrement ignorée par la recherche internationale. Après leur migration dans cette zone, les Oudmourtes orientaux ont vécu dans un environnement turcique et musulman, qui leur a permis de garder leurs traditions et leurs croyances. Non seulement ils ont une culture et une langue archaïques, mais ils ont aussi une religion ethnique très vivante, fondamentalement tolérante, et de plus en plus présente. Nous entendons étudier la religion ethnique oudmourte sous différents points de vue afin de produire des résultats – aussi bien écrits que filmés – qui soient utiles à la communauté académique et qui répondent aux besoins des communautés. Notre travail s’appuie sur une recherche pilote accomplie par un petit groupe depuis 2013.
La documentation
Documenter est une nécessité, parce qu’il n’y a rien sur quoi s’appuyer. La communauté scientifique a besoin de matériaux fiables dans lesquels elle puisse enraciner ses travaux. Filmer nous permet non seulement de documenter les traits généraux, mais aussi les traditions locales, souvent contradictoires. Documenter, ce n’est pas seulement important pour le travail de recherche, mais aussi pour la population, qui ces dernières années a bien accepté notre participation et notre intervention. Elle permet de souligner les identités communautaires et villageoises.
C’est pourquoi :
1. nous allons devoir monter, ne serait-ce que grossièrement, les matériaux filmés,
2. et continuer à documenter d’autres rituels.
Ce dernier point est essentiel, mais aussi éthiquement important : en effet, le filmage de certaines cérémonies peut leur donner une place prépondérante, à long terme, dans un éventuel processus de standardisation. Il est donc important, dans la mesure où chaque village a ses traditions, qui peuvent différer de celles du village voisin, de filmer toutes les cérémonies. La documentation de rituels filmés doit être élargie à d’autre formes : commémorations des morts, mariages, départs à l’armée, cérémonies familiales, etc. Nous tenons à souligner qu’en filmant, nous suivant des principes éthiques stricts et nous ne nous permettons pas de mettre en scène ou d’intervenir en aucune manière dans les manifestations d’une tradition vivante.
La recherche
L’existence de matériaux filmés donne un puissant stimulus à la recherche scientifique. Nous avons défini plusieurs thèmes que nous entendons explorer:
- Est-ce que la religion oudmourte est une forme d’animisme ? (Eva Toulouze, Laur Vallikivi, Zoltán Nagy)
À la fin du projet, nous devrions avoir un aperçu exhaustif de la religion oudmourte et nous voudrions faire le lien avec les réflexions actuelles sur l’animisme (cf. Bird-David 1999, Harvey 2005, Ingold 2011, Willerslev 2013, etc). Avons-nous raison de parler d’animisme ? Au début du projet, nous avons utilisé le terme animisme comme un terme générique, afin d’éviter d’utilise la notion controversée de « paganisme ». À la fin du projet, nous sommes tenus de le justifier, ou de trouver un autre terme.
- Animisme, religions ethniques, néo-paganisme, New Age au début du XXIe siècle (Eva Toulouze, Laur Vallikivi, Zoltán Nagy, et d’autres spécialistes extérieurs au projet)
Avec ce thème, nous entendons inscrire notre objet de recherche dans un domaine plus large et réfléchir aux manifestations de spiritualité indépendantes des grandes religions mondiales. Nous allons nous concentrer sur la région eurasiatique et essayer de réfléchir aux similarités et aux différences entre les différents besoins auxquels répondent ces différentes formes de spiritualité.
- L’animisme au XXIe siècle : apport dans la culture mondiale et valeurs (Laur Vallikivi, Eva Toulouze, Zoltán Nagy)
La diversité biologique et culturelle est en grand danger dans le monde contemporain et la recherche est largement impliquée pour inverser la tendance à la disparition massive d’espèces et de forme de culture. Avec la disparition de la diversité des manières d’être un être humain, la standardisation, l’institutionnalisation ainsi que l’exclusivisme sont l’une des manières de répondre aux dangers d’extinction. Dans ce contexte, l’animisme représente une île, ou plutôt un archipel très diversifié de liberté humaine et d’autodétermination. Alors que bien des manières de vivre la spiritualité humaine tentent de renforcer leurs positions en reprenant la boîte à outils des visions du monde qui les étouffent, l’animisme oudmourte représente une contribution très originale à la diversité humaine, sans tendances à la standardisation ou à l’institutionnalisation. Nous nous concentrerons ici sur une comparaison avec le cas mari, car les Maris on fait le choix inverse – celui de créer une Église et de défier même l’Église orthodoxe russe sur son terrain. Nous affirmons que la forme de spiritualité vécue par les Oudmourtes du Bachkortostan ne doit pas être sous-estimée, pas plus que son apport dans la culture mondiale.
- Les cérémonies collectives : une typologie (Eva Toulouze, Ranus Sadikov, Laur Vallikivi, Nikolay Anisimov, Zoltán Nagy)
Nous étudierons un nombre considérable de cérémonies de manière à avoir une idée exacte de ce qui se pratique et de ce qui a disparu. De ce point de vue une approche comparative avec des données diachroniques sera fort utile. Nous nous concentrerons sur les pratiques contemporaines et nous espérons pouvoir établir, à la fin du projet, un inventaire précis qui nous permettra d’identifier ce qui fait sens pour les gens du XIXe siècle et ce qui a perdu de sa valeur.
- Les lieux sacrés des Oudmourtes du Bachkortostan : une typologie (Eva Toulouze, Ranus Sadikov, Nikolay Anisimov)
Toutes les cérémonies ont lieu dans des lieux sacrés. Notre étude doit être étendue et approfondie en incluant aussi des lieux sacrés plus intimes. En coopération et avec l’accord des sacrificateurs, nous établirons un site avec des photos des lieux sacrés, d’autant qu’à notre connaissance aucun d’entre eux n’est secret. Ce sujet pourra déboucher sur un ouvrage à part entière après l’achèvement de ce projet.
- Le sacrificateur, un personnage central (Eva Toulouze, Ranus Sadikov, Laur Vallikivi, Nikolay Anisimov, Zoltán Nagy)
L’officiant des rites oudmourtes, le vös’as’, doit être un membre à part entière, un membre respecté de la communauté villageoise. Aujourd’hui, on n’en manque pas. Comment expliquer ce phénomène ? Comment a lieu la transmission ? Qui sont ces nouveaux sacrificateurs ? Comment ont-ils été choisis ? Quelles sont leurs motivations ? À la fin du projet, nous aurons rencontré la grande majorité des sacrificateurs oudmourtes actifs au Bachkortostan. Et nous serons en meilleure position pour apporter une réponse à toutes ces interrogations.
- Le rôle de la communauté dans la religion oudmourte (Eva Toulouze, Ranus Sadikov, Laur Vallikivi, Nikolay Anisimov, Zoltán Nagy)
Les cérémonies oudmourtes semblent être des pratiques destinées à renforcer la communauté (Toulouze, Niglas 2015a). Nous sommes également intéressés par le rôle de la religion dans la reproduction de la communauté, par la transmission aux jeunes, par l’intégration de ces derniers et des enfants et par le rôle des cérémonies religieuses dans le renforcement de la socialisation en général et plus précisément de la socialisation masculine. Nous sommes intéressés à identifier différents types d’engagement dans la communauté et de suivre les éléments potentiels de désagrégation, comme les migrations (ou d’autres que nous n’avons pas encore identifié).
- Les prières hier et aujourd’hui : texte et performance (Ranus Sadikov, Eva Toulouze)
Les cérémonies oudmourtes comportent également une dimension verbale. Ici, nous allons nous concentrer sur l’aspect textuel. Comment les sacrificateurs ont « trouvé » leur prière ? Combien d’entre eux l’ont acquise par les moyens traditionnels, en écoutant leurs prédécesseurs sur le terrain ? jusqu’à quel point ils se permettent de changer le texte traditionnel? Comment abordent-ils les soucis du monde d’aujourd’hui ? Finalement, la prière est un phénomène universel et nous allons tenter de placer situer les prières oudmourtes « païennes » dans un contexte plus général.
- Des festivités à plus petite échelle : Le Grand jour et d’autres (Eva Toulouze, Ranus Sadikov, Laur Vallikivi, Nikolay Anisimov, Zoltán Nagy)
Nous devons identifier la prière quotidienne ainsi que des moments et des espaces rituels privés à plus petite échelle. Certains sont bien connus, comme le Grand jour (Bydz’ynnal), qui coïncide avec la Pâque orthodoxe. Mais il y en a certainement d’autres. Nous allons pénétrer cette sphère plus intime et la documenter autant que cela nous sera autorisé, sans pour autant interférer.
- Cimetières et commémoration des morts (Nikolay Anisimov, Ranus Sadikov)
Une grande partie de la prospérité des communautés dépend de la bienveillance des morts envers les vivants : c’est pourquoi la vénération et la commémoration des ancêtres occupent une place centrale dans les pratiques des villageois. Nous allons explorer cette dimension et la comparer à la pratique analogue des Oudmourtes d’autres régions notamment des Oudmourtes du Sud, où elle est bien présente.
- Les mariages: le rapt de la fiancée (Eva Toulouze, Laur Vallikivi)
Même aujourd’hui, la plupart des mariages passent par le rapt de la fiancée. Nous allons nous appuyer sur des récits de couples, avec la voix de l’homme et de la femme, pour comprendre la manière dont garçons et filles vivent cette manière pour nous particulière de commencer leur vie de couple. Nous allons nous concentrer sur la pratique telle qu’elle est vécue aujourd’hui pour comprendre les règles du mariage contemporain et documenter cette coutume pour autant que cela nous sera autorisé.
- La sorcellerie dans la communauté villageoise (Eva Toulouze, Nikolay Anisimov, Laur Vallikivi)
C’est là un thème très délicat et nous n’aurons pas trop des cinq années du projet pour l’approfondir. Mais c’est une question qui mérite d’être étudiée. Nous allons tenter d’étudier les personnes identifiées dans les villages comme étant des sorcières. Il va falloir sans doute que nous introduisions des éléments de comparaison avec les phénomènes analogues dans les villages d’Oudmourtie, sur la base des terrains de nos membres.
- La religion comme facteur d’identité ethnique (Maria Vyatchina, Eva Toulouze, Zoltán Nagy)
Nous consacrerons un aspect de notre recherche à une observation plus large des tendances politiques de la communauté et nous réfléchirons à comment la pratique religieuse offre un espace uniquement oudmourtophone et si elle offre, ou non, le cadre idéologique qui manque actuellement à la préservation de la langue. Nous suivrons aussi les autorités oudmourtes locales pour comprendre leur stratégie de ce point de vue.
- Les chants rituels des Oudmourtes orientaux (Irina Pchelovodova, Nikolay Anisimov)
Notre objectif est de collecter et de publier les chants rituels des Oudmourtes orientaux (cf. ci-dessous). Nous analyserons la musique collectée et évaluerons la maîtrise des chants rituels, les profils des chanteurs, et leur performance. Toutes ces questions seront traitées dans le cadre de notre projet.
Ce projet devra conduire à différents types de production.
Des films achevés
Il convient d’aller jusqu’au bout, une fois que nous avons des rushes : il va falloir en assurer le montage. Notre objectif sera :
- d’avoir tout notre matériau traité avec un montage, ne serait-ce que grossier
- si possible avoir des versions sous-titrées;
- Ceci demande un immense travail de traduction, d’abord du dialecte local de l’oudmourte vers le russe, puis vers les autres langues du projet. Notre objectif est d’avoir une série de films montés dont la langue principale sera l’oudmourte et avec des sous-titres en russe, français, anglais et estonien. Sans doute la réalisation de cet aspect du projet dépassera les limites chronologiques de celui-ci, mais nous espérons au moins avoir une dizaine de films achevés.
Des sites internet
Notre objectif au début du projet était d’avoir au moins deux sites
- l’un dédié aux photographies, anciennes et récentes, d’activités religieuses, en insistant sur les albums familiaux, qui sont de plus en plus en danger.
- et l’autre dédié aux lieux sacrés.
À mi-chemin, nous sommes en train de travailler à un site, comprenant l’ensemble des informations sur la région.
Des workshops
Nous avions prévu trois workshops – en 2018, 2020 et 2021 – qui auraient rassemblé les membres de l’équipe en vue de faire le point, d’informer les participants des résultats des terrains, de fixer le tâches pour la suite et de préparer les volumes finaux
Les trois workshops n’ont pas pu avoir lieu. En effet, le financement n’a pas permis de les réaliser, la priorité étant les travaux de terrain. En même temps l’équipe s’est réunie régulièrement
- Début juin sur le terrain
- Dans différents forums scientifiques auxquels tout le monde participait, notamment les Congrès des anthropologues et des ethnologues de Russie, à Iževsk en 2017, à Kazan en 2019 et à Tomsk en 2021.
- Au CIFU (Congrès international des Finno-Ougristes) notre équipe anime une session sur l’animisme (Eva Toulouze, Laur Vallikivi, Nikolai Anisimov
La langue de travail de l’équipe est le russe, langue que tout le monde maîtrise.
Articles scientifiques et activités scientifiques internationales
Tout au long du projet les participants produiront articles et communications sur les thèmes susmentionnés dans différentes langues : oudmourte, russe, anglais, français, estonien et hongrois. Nous attendons un minimum de 5 articles par an, certains d’entre eux en coopération. Les participants seront présents à des forums importants tels que le Congrès des Finno-Ougristes, le Congrès de l’Association européenne pour l’étude des religions, les Congrès des Anthropologues et ethnologues de Russie et d’autres conférences thématiquement appropriées.
Ouvrages
Nous prévoyons de publier trois ouvrages, en open access et en plusieurs langues:
- Un ouvrage collectif d’ensemble sur la vision du monde et les pratiques religieuses des Oudmourtes du Bachkortostan. Cet ouvrage présentera les résultats de nos travaux. Il comprendra au moins deux versions : une version anglaise (sous la direction d’Eva Toulouze et Laur Vallikivi) et une version russe (sous la direction d’Eva Toulouze et de Nikolai Anisimov). Si possible et indispensable, une version française est envisageable.
- Un recueil de prières des Oudmourtes orientaux. Cet ouvrage aura aussi une dimension historique. Il rassemblera des prières colletées par différents chercheurs, publiée et non publiées, ainsi que celles collectées par notre équipe au cours de nos terrains. Ces prières seront transcrites, traduites et commentées. Ce livre est particulièrement important pour nous aussi bien pour des raisons scientifiques que parce qu’il est nécessaire sur place, pour les sacrificateurs. Les prières y figureront en oudmourte dans le dialecte local, ainsi qu‘en traduction russe et anglaise. Le livre sera accompagné d’un DVD avec les enregistrements des prières que nous avons faits.
- Un recueil de chants rituels des Oudmourtes orientaux. Ce sera le premier d’un ensemble de deux livres, l’un dédié aux chants rituels, l’autre aux chants non rituels. La tradition des chants des Oudmourtes orientaux est souvent méprisée voire ignorée, nous tenons à la faire connaître.
Pourquoi les Oudmourtes orientaux?
La revitalisation en Europe de ce qu’on appelle « paganisme » est un phénomène contemporain (Koskello 2009: 295). On a surtout étudié ces derniers temps les religions alternatives qui s’efforcent de réinventer des traditions ethniques qui ont été perdues pendant des siècles (pour leur place dans la revitalisation ethnique, cf. Chervonnaya 1998, Leete & Shabaev 2010, Västrik 2015). Pourtant il y a des exemples en Europe orientale de religions animistes ethniques qui ont été pratiques sans discontinuer. Quand il est question de ce type de visions du monde comme les animistes en Europe, on mentionne la plupart du temps une communauté finno-ougrienne de Russie, les Maris, les « deniers païens d’Europe ». Effectivement les Maris, tout au long de leur histoire, se sont montrés résolus à prier selon leurs coutumes ancestrales (Lallukka, Popov 2009). La désagrégation du régime soviétique au début des années 1990 a finalement permis à la religion marie d’acquérir un statut officiel, aux côté de l’orthodoxie. Elle a été bien étudiée et continue de l’être (Toydybekova 1997, Sharov 2004, 2005, 2007, Luehrmann 2011, Alybina 2014). Bien qu’en créant une église les « païens » maris soient allés beaucoup plus loin que les autres sur la voie de l’institutionnalisation de leur religion (Alybina 2014: 98), il n’en reste pas moins que les Maris ne sont pas les seuls animistes dans la Russie d’aujourd’hui. Nous sommes intéressés à étudier un autre type de communauté qui continue à pratiquer leur religion sans centralisation ni institutionnalisation, voire sans idéologie particulière. Nous allons ici nous concentrer sur les Oudmourtes, que nous étudions depuis longtemps et qui ont fait l’objet d’une expédition pilote préalable.
Les Oudmourtes orientaux vivent dans le nord-est du Bachkortostan et dans le sud du kraï de Perm. Leur formation coïncide avec les tentatives d’évangélisation qui ont suivi l’annexion des territoires originels des oudmourtes par la Moscovie après 1552 et, bien plus efficacement, après 1740 (Sadikov 2008: 7). Les villages réticents, confrontés à la conversion forcée, ont souvent fui à l’Est, vers des terres peu habitées par des peuples turciques musulmans, où ils se sont installés, ont payé leurs impôts pour finalement acheter des terres. Ces communautés n’ont pas été touchées ar l’évangélisation, et elles ont pu continuer à pratiquer leur religion. Certes, la période soviétique a porté un coup à la pratique religieuse, mais moins que dans les zones où les Oudmourtes coexistaient avec les Russes. A la fin de l’ère soviétique certain endroits avaient pu maintenir une continuité totale, alors que dans d’autres, des rituels ont été abandonnés dans les années 1970-1980, même si les personnes âgées s’en souvenaient encore. . Dans ces dernières années, aussi bien l’initiative des populations que l’activité systématique des leaders locaux a conduit à une revitalisation dans pratiquement tous les villages qui avaient interrompu leur pratique.
Alors pourquoi les Oudmourtes orientaux?
- Leur expérience est celle d’une pratique religieuse non institutionnalisée, fortement enracinée dans la tradition locale et qui n’a pas été standardisée; De même, en ce moment, on ne relève pas d’évolution dans cette direction. C’est une expérience intéressante et pratiquement unique.
- De plus, cette pratique a quelque chose à dire aux XXIe siècle. C‘est un modèle de tolérance religieuse. Dans une période où l’intolérance religieuse semble avoir le vent en poupe dans le monde entier, c’est là une expérience qui mérite d’être mieux connue, comprise et montrée au monde.
- Comme on le verra, ce groupe a été fort peu étudié et n’a pas fait l’objet de beaucoup d’attention, en dépit de l’intérêt manifeste qu’il mérite.
L’état de l’art
Les Oudmourtes orientaux n’ont pas largement attiré l’attention des chercheurs. A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, certains chercheurs russes (Tezyakov 1882; Komov 1889, Aptiev 1891, Makarov 1915), finnois (Wichmann 1901, Holmberg 2014) et hongrois (Munkácsi 1887) ont fait du terrain dans ces régions et nous ont laissé de précieuses descriptions. Mais personne n’a poursuivi leurs recherches ni n’a analysé leurs matériaux de manière systématique pour tirer des conclusions sur l’état de la religion oudmourte à l’époque. Plus tard, l’ancienne génération (Vereshchagin 1995, 1996, 1998a, 1998b) et les générations suivantes (Vladykin 1994, Shutova 2001, 2004) des chercheurs oudmourtes se sont concentrés sur le territoire de la République d’Oudmourtie, l’un des sujets de la Fédération de Russie, et même si ponctuellement des travaux de terrain ont été réalisés, leur objectif était plutôt de collecter des matériaux de comparaison, plus que des études per se. Nous pouvons surtout nous appuyer sur les travaux des chercheurs locaux, Tatyana Minniyakhmetova et Ranus Sadikov, qui, étudiants leur propre culture, ont publié des dizaines sinon des centaines d’articles à son sujet. Minniyakhmetova a fait des études d’ethnographie à Ufa, à Izhevsk et puis à and Tartu (Estonie), et a ensuite travaillé à l’université d’Innsbruck (Autriche); Ranus Sadikov a fait ses études à Ufa et travaille à l’Institut de recherches ethnologiques de la même ville. Leurs abondants et précieux travaux reposent sur les principes de l’ethnographie soviétique, c’est-à-dire qu’ils se concentrent sur le summum de la culture traditionnelle, au début du XXe siècle, avant l’arrivée de la modernité. Ils sont centrés sur le passé, non point sur la situation actuelle.
Nous sommes intéressés à ce qui se passe aujourd’hui, à la manière dont cette pratique religieuse originale est porteuse de sens pour les populations, pour des gens ordinaires, qui vivent des vies ordinaires, ont des ordinateurs et internet, et ne rejettent pas la modernité. Sans nier l’importance et l’intérêt des recherches historiques, nous ne nous concentrons pas sur les recherches d’archives, mais sur les observations de terrain, et nous utilisons les sources écrites non pas en soi, mais en vue d‘analyses comparatives, notre projet étant surtout synchronique.
Travail préalable
Eva fait du terrain chez les Oudmourtes orientaux depuis 2013, étudiant et documentant des cérémonies animistes. Elle a toujours associé à ce travail des chercheurs qui forment le noyau de l’équipe actuelle (Ranus Sadikov, Liivo Niglas, Laur Vallikivi, Nikolay Anisimov).
Nous avons documenté des cérémonies dans les 19 villages du raïon de Tatyshly. Ils organisent des cérémonies deux fois par an avant le solstices d’été et d’hiver. Nous avons documenté (photographié, filmé, décrit) les trois types de cérémonies : 1. Les cérémonies de village (seulement tenues en été, 4 filmées), 2. Les cérémonies intermédiaires (Bagysh vös’, aussi ben l’été que l’hiver), 3. Et ces cérémonies régionales, comprenant neuf et dix villages (see Toulouze, Niglas 2014, 2015). Quatre films ont été rendus publics. Nous avons produit des études en anglais et en russe. C’est cette expérience préalable qui a permis de concevoir un projet pertinent.
L’équipe
Ce projet a été conçu dans le cadre d’une coopération internationale. Il rassemble l’expertise existante à ce jour et les recherches les plus récentes sur les Oudmourtes du Bachkortostan. Ses membres relèvent des institutions suivantes:
- INALCO (Paris, France)
- Prof. Eva Toulouze (PhD, Hab) – anthropologue, professeur et responsable du projet
- Université de Tartu (Tartu, Estonie)
- Dr. Liivo Niglas – chercheur en anthropologie visuelle au département d’ethnologie de l’Université de Tartu, réalisateur
- Dr. Laur Vallikivi – chercheur en anthropologie des religions au département d’ethnologie de l’Université de Tartu
- Mariya Vyatchina – doctorante au département d’ethnologie de l’Université de Tartu
- Musée littéraire d’Estonie
- Dr. Nikolai Anisimov – folkloriste, chercheur au Musée littéraire d’Estonie et à l’Institut oudmourte de recherches de l’Académie des sciences
- Université de Pécs (Pécs, Hongrie)
- Dr. Zoltán Nagy, anthropologue, professeur, responsable du département de Folklore et anthropologie
- Iževsk, Institut oudmourte de recherches de l’Académie des sciences de Russie (Iževsk, République d’Oudmourtie, Russie)
- Dr. Irina Pchelovodova, ethnomusicologue, responsable de la section d’ethnomusicologie
- Dr. Prof. Tatyana Vladykina, folkloriste.
- Ufa, Institut de recherches Kuzeev de l’Académie des Sciences de Russie (Ufa, République of Bachkortostan, Russie)
- Dr. Ranus Sadikov, ethnographe, Responsable de la section des peoples minoritaires du Bachkortostan (Oudmourte du Bachkortostan)
- Chercheurs indépendants
- Anna Baydullina – linguiste, ancienne doctorante au département des langues finno-ougriennes de l’Université de Tartu, actuellement journaliste
- Dr. Tatyana Minniyakhmetova, folkloriste & ethnologue, Innsbruck
- Evgeni Badretdinov, étudiant en histoire et ethnologie, participation aux terrains
Cette équipe a différents atouts:
1. Elle est interdisciplinaire:
les domaines représentés sont: l’anthropologie / ethnologie, l’ethnographie, l’étude des religions, l’anthropologie visuelle, les études d’oralité / folklore, l’ethnomusicologie, la sociologie et la linguistique. Bien que ces disciplines soient assez proches les unes des autres, elles ont des objectifs différents et font appel des méthodes différentes. Leur coopération s’est déjà avérée fructueuse.
L’ethnographie: Nous nous appuyons sur la connaissance encyclopédique des deux ethnographes Ranus Sadikov et Tatyana Minniyakhmatova, eux-mêmes originaires de la communauté oudmourte du Bachkortostan, connaissance acquise durant les décennies antérieures.
L’anthropologie/ l’ethnologie/ l’étude des religions: la plupart des participants (Toulouze, Niglas, Vallikivi, Nagy) sont spécialistes de ces disciplines, certains travaillant plus particulièrement en anthropologie des religions (Vallikivi, Nagy). Tous ont déjà travaillé en Russie. Tous connaissent la région et y ont déjà fait des terrains. Nous comptons sur le bagage théorique de nos anthropologues pour ouvrir nos observations de terrain sur des considérations plus larges.
L’anthropologie visuelle: Pour notre dimension de documentation, c’est un domaine vital. Liivo Niglas est un anthropologue visuel et un réalisateur expérimenté. Il filme de manière non intrusive et intime, et est déjà connu et apprécié dans la région. C’est lui qui animera la dimension filmique du projet.
Les études d’oralité: les études d’oralité sont fortement axées sur les travaux de terrain, la mythologie, la vision du monde, et les pratiques rituelles, développant un dialogue fructueux avec les anthropologues. Nikolai Anisimov, qui a soutenu sa thèse en 2017, est déjà un folkloriste expérimenté, qui a fait beaucoup de terrain dans tous les territoires habités par les Oudmourtes. Non seulement il a étudié de manière approfondie le culte des ancêtres et la communication avec les morts, mais il a aussi une grande expérience de collecte et de publication de chants traditionnels.
L’ethnomusicologie: L’ethnomusicologie a ses méthodes. Irina Pčelovodova est une ethnomusicologue expérimentée, qui a déjà publié des recueils de chants traditionnels. L’un des objectifs de ce projet et la publication d’un recueil de chants rituels des Oudmourtes orientaux, ce qui ne nous empêche pas de collecter également des chants non rituels, destinés à être publiés par la suite.
Sociologie: Marija Vjatčina a un master de sociologie et suit la dimension plus politique des activités religieuses.
Linguistique : Même si la langue n’est pas notre principal focus, elle intervient aussi bien dans l’étude des chants que dans celle de prières et nous allons devoir faire appel dans la dernière phrase à des dialectologues expérimenté pour rendre compte de la dimension dialectale des textes présentés.
Ainsi, cette équipe interdisciplinaire doit pouvoir couvrir l’essentiel des besoins de ce projet.
2. Cette équipe est aussi pluriethnique et plurilinguistique
Notre équipe garantit en même temps la pluralité et le dialogue entre les approches. Certains chercheurs représentent totalement le regard intérieur (R. Sadikov et T. Minnijahmetova étudient cette région en même temps qu’ils en sont issus. Ils travaillent dans la langue locale. Les chercheurs issus d’Oudmourtie, Anisimov, Vjatčina, Pčelovodova, travaillent aussi en langue locale. Mais ils sont porteurs de traditions un peu différentes, étant issus de régions différentes. Donc ils regardent cette culture en même temps de l’intérieur et de l’extérieur. Et les chercheurs étrangers proposent un regard entièrement extérieur, toujours en dialogue avec leurs collègues oudmourtes.
Pour nous, le plurilinguisme dans la recherche est une obligation, non seulement pour pouvoir efficacement répandre les résultats de notre recherche, mais aussi pour diversifier et enrichir les contenus. Trop souvent nous avons tendance à oublier à quel point nos disciplines sont sensibles à la langue : l’efficacité de nos écrits dépend souvent de la qualité de notre écriture. Pour nous, chaque chercheur a l’obligation de publier au moins en trois langues : 1. D’abord dans sa langue maternelle, ce qui garantit les meilleurs résultats et élargit, pour certaines langues, leur portée scientifique; 2. Il faut publier en anglais, pour donner accès à un large public international et permettre le dialogue scientifique ; il faudra ainsi veiller à ce que nos textes soient relus par un bon correcteur, puisqu’aucun des membres de l’équipe n’est de langue maternelle anglaise ; 3. Nous devons publier dans les langues que comprennent nos informateurs, ce qui veut dire dans ce cas concret en russe et en oudmourte, prioritairement en russe, puisque la plupart de nos informateurs ne sont pas capables de lire l’oudmourte littéraire ; mais nous devons tenir la population au courant dans sa langue et rendant régulièrement compte de notre travail dans le journal local Ošmes.
Notre équipe est unanime sur ces objectifs.
3. Cette équipe préexistait le projet
Elle a déjà été testée en tant qu’équipe. Plusieurs de ses membres avaient fait des terrains et écrit des articles conjointement. Cela lui a permis d’être productive d’emblée.
Le rôle de la responsable du projet
Le rôle de la responsable du projet est multiple :
- Former l’équipe et lui permettre de fonctionner en tant qu’équipe ;
- Stimuler la rédaction d’études conjointes ;
- Organiser les travaux de terrain et en élaborer les données conformément aux objectifs du projet;
- Réaliser deux ouvrages collectifs ;
- Assurer le caractère multilingue des productions ;
- Distribuer les fonds conformément aux objectifs du projet.